15/03/2025

Delphine Jelk : « La ligne de conduite chez Guerlain, c’est le respect du patrimoine, magique et magnifique »

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Séparer les œuvres des artistes ? Impensable nous direz vous ! Mais savez-vous seulement qui se cache derrière vos flacons de parfums préférés ? À l’occasion de la deuxième édition de la Paris Perfume Week, nous avons l’immense honneur d’accueillir les parfumeuses et parfumeurs célèbres qui font rayonner la parfumerie contemporaine. Si certains ne se présentent plus, tous se raconteront, revenant aussi bien sur leur parcours que sur leurs créations légendaires. Parmi ces brillantes têtes d’affiche, une invitée de taille : Delphine Jelk. 

Parfumeuse maison chez Guerlain depuis 2014, Delphine Jelk a reçu en décembre dernier l’insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. L’occasion pour Nez de lui donner la parole et de revenir avec elle sur son parcours, depuis le petit pot d’huile d’abricot de son enfance suisse à l’idée de parfum « qui fait du bien », qui la nourrit et la guide aujourd’hui. Entretien.

Quel est votre premier souvenir olfactif ?
Sans doute l’huile d’abricot en petit pot que ma mère et ma grand-mère utilisaient, qui fait toujours partie de ma vie aujourd’hui et maintenant de celle de mes quatre enfants. C’est le remède miracle à tous les bobos ! 

Vous venez de l’univers de la mode, quel chemin vous a mené au parfum ? 
Je n’avais qu’une seule idée en tête à 18 ans, c’était quitter la Suisse ! Mais il me fallait une bonne raison. Quelles étaient les études que je ne pouvais pas suivre dans mon pays ? J’adorais le dessin et la mode, c’est ainsi que je suis arrivée à Paris pour faire l’école Esmod où je me suis spécialisée dans le prêt-à-porter masculin. À la fin de mes quatre ans d’études, j’ai dû imaginer une collection. C’était l’époque de la bulle internet, et je l’avais pensée autour du cachemire et du lin, pour un homme qui travaille de chez lui. Ce qui m’intéressait particulièrement, c’était le côté plurisensoriel du projet :  j’avais eu l’idée d’aromatiser des laits de soja et de développer deux parfums inspirés par les matières que j’utilisais, aidée par une amie évaluatrice chez Firmenich. Cette collection m’a valu un prix et deux propositions pour des postes : un à Paris chez Margiela et un autre à Genève dans l’équipe marketing de Firmenich, qui avait été séduit par ma démarche. Et finalement je suis retournée en Suisse !

Comment est né ensuite le désir de devenir parfumeuse ?
Chez Firmenich, un parfumeur adorable et très patient me faisait régulièrement sentir des matières premières. Quand j’ai découvert le Triplal, j’ai senti quelque chose s’ouvrir en moi, et je me suis rendue compte de la puissance de la mémoire olfactive. Par exemple, l’iris me touchait car il me rappelait l’odeur du grenier de mes grands-parents, chaude et poussiéreuse. C’est cette dimension du parfum en tant que lien à l’enfance et « doudou pour l’âme » qui a été le moteur de mon envie de faire ce métier, et qui m’a touchée au même titre que la démarche artistique. 

De quelle manière cette envie s’est-elle concrétisée ? 
J’ai rapidement rejoint les équipes de marketing et d’évaluation de Firmenich à Paris, ce qui m’a plongée dans l’olfaction. Je sentais que je voulais créer mais je ne me sentais pas légitime ​​pour devenir parfumeuse. Je n’avais pas eu de  formation classique comme celle de l’Isipca. J’ai donc décidé de faire une école de parfumerie, et j’ai pu rentrer au GIP à Grasse. J’ai adoré cette immersion au contact de la matière, cette possibilité d’aller voir la cueillette et l’extraction du mimosa, de la rose, du jasmin, de la lavande… L’apprentissage selon la méthode Jean Carles, par le contraste et par les souvenirs, la reproduction des classiques, c’était le bonheur total ! 

A quel moment le lien s’est-il noué avec Guerlain ?
C’est juste avant de partir à New York que j’ai rencontré Sylvaine Delacourte, qui était à l’époque directrice de la création parfum de la maison. Elle m’a ​​dit : « Fais-moi une fleur ! ». Drom n’était pas du tout briefé sur les projets Guerlain, et je me suis dit que ce n’était même pas la peine de penser à une composition en parfumerie fine : j’ai donc travaillé une fleur d’oranger en bougie – elle l’a d’ailleurs lancée récemment pour sa propre marque. À cette époque, cela faisait un moment que je me disais qu’il faudrait un équivalent de Coco Mademoiselle et Miss Dior chez Guerlain. Quand j’ai vu la Marie Antoinette de Sofia Coppola manger des pâtisseries en Converse, j’ai proposé à Sylvaine cette note de macaron framboise-cerise et de rose, avec des facettes thé fumé et réglisse pour lui donner un côté rock. Nous avons travaillé sur cette idée pendant deux ans, avec la directrice marketing Ann Caroline Prazan qui a imaginé la merveilleuse histoire de La Petite Robe noire. Elle est sortie en 2009 de façon confidentielle, dans les boutiques Guerlain, avant un lancement international en 2012.

Comment expliquez-vous son succès ?
Quand on entre chez Guerlain, on s’attend à avoir du Guerlain, à retrouver ce qui fait sa signature. Ma ligne de conduite, c’est le respect du patrimoine, qui est magique et magnifique, tout en lui faisant épouser l’air du temps. Pour certains, un parfum qui sent le macaron chez Guerlain, c’était n’importe quoi. Mais les parfums de la maison ont toujours été gourmands, enveloppants, addictifs. La gourmandise a presque été inventée par Shalimar, avec son overdose d’éthylvanilline, même si elle est différente de celle qu’on connaît aujourd’hui. La note de pêche dans Mitsouko était aussi nouvelle et très marquée pour l’époque. Dans La Petite Robe noire, on retrouve la guerlinade, avec la rose, l’iris, la vanille et la tonka, et des femmes qui portaient L’Heure bleue y retrouvent leur Guerlain.

Cet entretien a été mené par Anne-Sophie Hojlo, retrouvez son intégralité sur le site de Nez.

Photo : Pascal Auguie

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