22/01/2025

Une rencontre à ne pas manquer : Isabelle Doyen

« Avec Annick Goutal, nous avions quatre narines pour un même nez ! Nous aimions et détestions les mêmes choses, nous regardions dans la même direction. » - Isabelle Doyen
« Avec Annick Goutal, nous avions quatre narines pour un même nez ! Nous aimions et détestions les mêmes choses, nous regardions dans la même direction. » - Isabelle Doyen

Séparer les œuvres des artistes ? Impensable nous direz vous ! Mais savez-vous seulement qui se cache derrière vos flacons de parfums préférés ? À l’occasion de la deuxième édition de la Paris Perfume Week, nous avons l’immense honneur d’accueillir les parfumeuses et parfumeurs célèbres qui font rayonner la parfumerie contemporaine. Si certains ne se présentent plus, tous se raconteront, revenant aussi bien sur leur parcours que sur leurs créations légendaires. Parmi ces brillantes têtes d’affiche, une invitée de taille : Isabelle Doyen.

Isabelle Doyen ignore tellement l’ivresse de l’ego qu’elle coécrit presque tous ses parfums depuis trente ans sans jamais rechercher la lumière. Cela n’empêche pas la collaboratrice historique de la maison Goutal et co-fondatrice de la marque Voyages imaginaires de défendre bec et ongles une parfumerie chic, entre respect des codes et audaces bien dosées. Rencontre.

Vous avez vécu en Polynésie. Votre goût des odeurs s’est-il révélé là-bas ?
Ma mère était sage-femme et mon père météorologiste : il a été muté à Tahiti lorsque j’avais 5 ans. Femmes et hommes venaient le dimanche à la messe les cheveux gominés au monoï. J’étais submergée par cette odeur dans la petite église en tôle ondulée, chauffée à blanc par le soleil. J’étais à l’école chez les sœurs et c’était un rituel d’arriver chaque matin avec un petit bouquet de tiaré. C’est drôle quand j’y pense : le muguet, le lilas et le tilleul, c’est encore exotique pour moi ; l’hibiscus et le tiaré me sont bien plus familiers.

Quels sont vos premiers souvenirs olfactifs ?
Nous prenions l’apéritif chez des amis, nous étions sur la terrasse et il y avait juste devant nous un arbre aux fleurs jaunes ; il était 6 heures du soir, je n’aurais bougé de ma chaise pour rien au monde tant l’émotion était intense. Je me soûlais de cette odeur chaude, presque un peu fruitée. C’était un ylang-ylang, je l’ai su bien des années après. Le dimanche, nous allions pique-niquer dans les vallées de Tahiti : j’adorais l’odeur des pelures de cocotiers et celle de fougères partout. Et puis il y avait la mangue que l’on mangeait sur la route de la plage et qui dégoulinait partout autour de la bouche.

Portait-on du parfum autour de vous ?
À Tahiti, on ne se parfumait généralement pas ou peu. Mais mon père s’aspergeait de Ice Blue Aqua Velva, une odeur agréable devenue pour moi son odeur à lui. J’avais remarqué que, lorsque ma mère se préparait à sortir chez des amis, enfilait une jolie robe et se maquillait, elle ressortait de la salle de bains avec quelque chose en plus, une aura indéfinissable. La femme d’un de leurs amis, hypersophistiquée, qui portait toujours de sublimes boucles d’oreilles, produisait ce même sentiment chez moi : il y avait toujours autour d’elle ce nuage de féminité.

Aviez-vous conscience que cette odeur, cette aura, provenait de leur parfum ?
Pas du tout ! Je pensais que les femmes, à partir d’un certain âge, exhalaient cette odeur magnifique et fascinante. Peut-être lorsqu’elles devenaient maman… Mais j’ignorais qu’il s’agissait d’un parfum et que ce parfum avait été composé par un être humain.

Sentiez-vous déjà que l’olfaction était votre monde, un territoire familier ?
Disons que les odeurs étaient une préoccupation. En CM1, je devais apprendre par cœur Le Dormeur du val, ma première rencontre avec Rimbaud. Les herbes, la montagne fière, le soleil, et puis cette phrase : « Les pieds dans les glaïeuls, il dort. » Je me disais : pourquoi ce poète a-t-il choisi ces fleurs moches qui ne sentent rien ? Je me rappelle que la mère d’une de mes copines, une femme très sophistiquée qui avait été mannequin pour Dior, portait Parure et Chamade. Elle avait un petit teckel prénommé McArthur, dont l’odeur étrange se mariait magnifiquement bien avec Guerlain. Je me faisais ce genre de réflexions mais c’était mon jardin secret, je ne partageais ça avec personne, ni mes parents ni mes amis. Dans la salle de bains, je trouvais que les berlingots Dop sentaient si bon qu’il m’arrivait de les croquer.

Vous souvenez-vous de votre premier choc lié à un parfum ?
Un grand-oncle m’a offert un flacon de Vent Vert [de Balmain] pour mes 15 ans : je l’ouvrais et je sentais une odeur étrange. C’est le galbanum qui s’échappait en premier de la bouteille. Depuis ce jour, je me prends une claque à chaque fois que je mets le nez dessus. Pourtant, ça n’est pas glamour au premier abord : je trouve que ça sent le vieux sac à patates au fond d’une cave. Mais – est-ce cette émotion originelle ? – j’utilise beaucoup cet ingrédient : dans Grand Amour (Annick et moi trouvions que nous avions eu la main un peu lourde mais finalement nous avons laissé la formule telle quelle), l’Eau du Sud, Ninfeo Mio, Nuit de Bakélite. Le plus drôle, c’est que le galbanum est originaire d’Iran ; lorsque j’ai croisé celui qui allait devenir mon mari et que j’ai appris qu’il était iranien, j’avais le sentiment qu’il y avait écrit « galbanum » sur son front. Ça le rendait encore plus précieux à mes yeux [rires].

À quand remonte votre désir de devenir parfumeur ?
Je crois que j’avais environ 20 ans. J’ai passé un bac C avec difficulté. À l’époque, je pensais vaguement me lancer dans une carrière d’herboriste. Ça n’a pas duré, on m’a fait comprendre qu’il ne restait guère qu’un herboriste à Paris, alors… J’ai fait des études de biologie végétale à Orsay. À l’occasion d’un dîner chez une copine à Versailles, son père, qui travaillait chez Guerlain – c’était le mari de cette femme qui avait été mannequin chez Dior –, a eu un geste que je ne m’explique toujours pas : il m’a tendu la brochure d’une école de parfumerie à Versailles. C’était comme un voile qui se levait. En 1979, je suis donc entrée à l’Isip [futur Isipca] après un entretien avec le vieux directeur – il n’y avait pas encore de concours. J’ai ressenti une immense joie, j’étais exactement là où je devais être. Les études se déroulaient à l’époque sur trois années, et nous étions formés à la fois à la parfumerie, à la cosmétique et aux arômes, alors évidemment nous survolions les choses.

Quel est le premier parfum que vous signez ?
Ça devait être en 1986-1987. J’ai développé une collection pour Pain d’épices, une marque de jouets en bois. Je me souviens que l’un des parfums s’appelait Berlingot, une sorte de gourmand avant l’heure, et un autre Petit Tambour, une note boisée-musquée-conifère. On s’amusait comme des fous.

Était-ce une fierté d’être ainsi reconnue ?
Pas particulièrement. Je me souviens de m’être fait cette réflexion : « Je me suis bien amusée, et c’est ça l’essentiel ! »

Retrouvez Isabelle Doyen sur la scène Smell Talks le 21 mars à 18h pour une Masterclass exclusive, accessible aux visiteurs munis d’un billet Paris Perfume Week.

Cliquez ici pour accéder à la billetterie

Cet entretien a été mené par Lionel Paillès, retrouvez son intégralité dans la revue Nez #6 – Le Corps et l’Esprit

Photo : Meyer/Tendance floue

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